Les grandes familles juives de Damas de 1799 à 1948.
L’action économique et politique des notables juifs des familles
Farhi, Stambouli et Liniado.
Article rédigé pour une communication auprès du Cercle de
Généalogie Juive, Paris, le 2 mars 2009
Jacques Stambouli
Maître de conférences en sciences de gestion et
aménagement
(Université d’Artois et Université Paris 1)
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La ville de Damas a
toujours fasciné les esprits. Peut-être parce qu’elle est une des plus
anciennes villes du monde, ayant maintenu, depuis au moins 35 siècles, son
existence sur un même site : une oasis créée par la rivière Barada, au
pied de la montagne de l’Anti-Liban et aux portes du désert qui s’étend
jusqu’aux vallées de l’Euphrate et du Tigre. Cette oasis offre à l’origine une
halte pour les caravanes, au carrefour des routes qui vont de la Mésopotamie et
de la Perse à la Méditerranée, d’est en ouest ; et de celles qui, du nord
au sud, vont du plateau d’Anatolie à l’Egypte, en passant par la Palestine.
Nous étudierons la
présence juive dans cette ville entre 1799, date de la pénétration de l’armée
française de Bonaparte en Syrie et 1948, date de la création de l’Etat
d’Israël. Peu d’études ont été écrites sur le sujet, notamment parce que l’on
ne dispose pas d’archives du recensement, celui-ci étant établi le plus souvent
par communauté religieuse dans l’Empire ottoman et les données étant perdues ou
difficilement accessibles aujourd’hui.
Nous avons donc utilisé
des sources généalogiques (en particulier le site généalogique « Les
Fleurs de l’Orient », mis en place par la famille Farhi[1]),
les archives de l’Alliance Israélite Universelle[2],
en particulier les rapports des directeurs des écoles de l’Alliance à Damas,
les correspondances de Damas au Président de l’Alliance à Paris entre 1860 et
1940 et quelques sources familiales.
C’est pourquoi nous nous
sommes limités à trois familles de notables juifs de Damas : les Farhi,
les Stambouli et les Liniado, familles par ailleurs apparentées.
Vu l’ampleur de la
période, riche en bouleversements de toutes sortes, et le nombre de personnes
concernées dans chaque famille, nous avons centré notre propos sur l’action
économique et politique des notables les plus marquants de ces familles, en la
replaçant dans son contexte.
Dans une premier
chapitre, nous retraçons le cadre socio-économique de l’action de ces notables
de Damas, dans la société syrienne de la fin du XVIIIe siècle. Ensuite, nous
avons choisi quelques dates, pour lesquelles nous avions des informations
nouvelles, de sources différentes. Dans chaque cas, les rapports avec la
France, son Etat et ses institutions sont évoqués, permettant de comprendre la
francisation problématique de ces Juifs de Damas.
En 1799, la ville de
Damas compte à peu près 100 000 habitants et environ 4000 Juifs[3].
En fait, à cause de la
mauvaise tenue des registres ottomans, les recensements complets, basés sur le
paiement des impôts, n’ont pas été faits pour les XVIIe et XVIIIe siècles. En
1596, la ville comptait environ 45 000 habitants, dont 37 500 Musulmans, 4900
Chrétiens et 2500 Juifs.
Damas est, à l’époque,
une des grandes villes commerçantes de l’Empire ottoman, et un des chefs-lieux
d’une des plus proches provinces arabes d’Istanbul.
Cette grande province
ottomane intégre, à quelques détails de frontières près, les pays actuels
suivants : la Syrie, le Liban, Israël, les territoires palestiniens
occupés ou contrôlés par Israël[4].
Damas est moins peuplée que Le Caire, mais bien plus que Jérusalem ou Beyrouth
et que toutes les autres villes du littoral méditerranéen de Palestine.
C’est une ville
prestigieuse, qui est mentionnée, au quinzième siècle avant notre ère, dans les
listes géographiques du pharaon Touthmôsis III, qui fut la capitale de l’Empire
arabe des Omeyyades de 661 à 750,
et qui organise chaque année une caravane pour le pèlerinage à La Mecque
par voie terrestre.
La présence juive y est
très ancienne[5]. Le roi
David, dans sa campagne contre la confédération araméenne, au dixième siècle
avant notre ère, a conquis la ville et y a installé des gouverneurs juifs (II.
Samuel 8 :5-6). Au neuvième siècle avant notre ère, la ville comptait des
marchands juifs, selon le livre des Rois (I Rois, 20 :34). Les conquérants
musulmans, au septième siècle de notre ère, ont reconnu comme quartier juif la
partie sud-est de la ville, où la communauté s’était établie. Une des
synagogues de Damas, celle de Jawbar, située à environ deux kilomètres au nord
de la ville, est mentionnée dans le Talmud (Eruvim 61b).
Depuis 1516, Damas fait
partie de l’Empire ottoman. Elle a accueilli des Juifs expulsés d’Espagne au
seizième siècle. Progressivement, ceux-ci ont abandonné le judéo-espagnol pour
parler arabe, tout en se différenciant par leurs noms de famille.
Damas, en 1799, comme de
nombreuses villes arabes de l’Empire ottoman de cette époque, apparaît
socialement comme « un ensemble de groupements professionnels et confessionnels,
chacun jouissant d’un pouvoir autonome (…), chaque groupement étant divisé
entre dominants et dominés »[6].
La société ottomane a repris dans son organisation sociale une tradition
antérieure à l’islam et héritée de la Perse sassanide et des Turco-Mongols :
le Sultan, chef politique et religieux, est le maître d’un troupeau qu’il tond
en même temps qu’il le protège et le guide[7].
Parmi les dominants
musulmans, on trouve les dirigeants nommés par le Sultan (le gouverneur ou wali, ses assistants, les chefs
militaires…) , les chefs religieux (oulémas),
les notables (a’yan), en particulier
les gros commerçants, résidant en ville, dans le quartier central regroupant la
grande mosquée omeyyade et les principaux marchés.
Parmi les dominés
musulmans, on trouve les petits commerçants et artisans de la ville ainsi que
les paysans des campagnes autour de Damas.
Les rapports
socio-économiques entre la ville de Damas et la campagne sont organisés de deux
façons[8].
D’une part par le marché : la campagne vend à la ville ses produits
agricoles ; la ville fournit à la campagne ses produits artisanaux et
manufacturés. D’autre part par l’impôt : la majorité des terres est
propriété de l’Etat ottoman, c’est-à-dire du Sultan ; le gros des loyers
de la terre revient donc à la trésorerie de l’Etat, dont la collecte, en nature
ou en monnaie, est organisée dans la ville.
À Damas et dans la
région, les notables se sont octroyés les principaux droits de percevoir
annuellement, pour un montant fixé, les rentes foncières pour l’Etat ottoman.
La richesse des notables ne vient donc pas seulement de leur commerce, mais de
leur capacité à percevoir l’impôt pour le compte de l’Etat sur les paysans et
d’en garder une partie pour eux.
Du fait de la propriété
d’Etat des terres, le rôle du marché est limité dans les échanges. Les
dominants cherchent à maintenir la stabilité du système des échanges, dans un
cadre économique préindustriel peu dynamique. « La politique de l’Etat et
celle des a’yan (notables) consistait
en priorité à stocker les grains produits à la campagne, dans les silos
publics, afin de pouvoir les redistribuer par la suite suivant les besoins
d’approvisionnement de la ville. Les paysans ne pouvaient disposer de leur
production et n’avaient pas la liberté de l’orienter vers le commerce extérieur
[9] ».
La division
dominants-dominés se retrouve aussi dans la communauté juive.
Tous les Juifs –
comme les Chrétiens - ont un statut considéré comme inférieur par rapport à
tout Musulman : le statut de dhimmi.
Selon ce statut, les communautés non musulmanes se voyaient accorder tolérance
et protection de la part des autorités. Mais elles devaient reconnaître la
primauté de l’islam, la suprématie des Musulmans ; et elles devaient payer
un impôt par tête (capitation) et se soumettre à différentes restrictions
d’ampleur variable selon les situations politiques ( types de vêtements, port
d’armes, construction d’immeubles…) [10].
Parmi les Juifs, il y a
des dominants : les notables, riches banquiers et gros commerçants et les
rabbins. Et il y a des dominés : les petits commerçants et artisans de la
ville, et les pauvres, en situation précaire, n’ayant parfois pas d’autres
sources de revenus que le soutien communautaire[11]. Tous vivent dans le quartier juif de
Damas (Harat al-Yahud).
Zouhair Ghazzal note que
« les groupes sociaux à travers lesquels l’Etat pouvait développer la
production de ressources libres étaient les groupes confessionnels
minoritaires, en particulier les Chrétiens et les Juifs. (…) Les Chrétiens
tenaient en main une bonne partie du commerce extérieur et on trouvait parmi
les Juifs les plus grands financiers de l’Empire[12] ».
Les Juifs étaient les
seuls à pouvoir légalement faire de gros prêts à l’Etat (le prêt à intérêt est
normalement interdit par la loi musulmane) ; et ils servaient de
conseillers financiers et politiques auprès des dirigeants ottomans parce
qu’ils appartenaient à un groupe minoritaire infériorisé qui ne pouvait
réclamer, dans un Etat strictement musulman, aucun pouvoir politique officiel.
Tel était le cas de la
famille Farhi de Damas, et notamment de Haïm Farhi, conseiller et financier
auprès du gouverneur de la province de Syrie, Jazzar Pacha au moment où
Bonaparte envahit l’Egypte et la Syrie.
Pour l’historien français
Henry Laurens, « l’expédition d’Egypte (de Bonaparte) apparaît
manifestement comme un aboutissement de l’œuvre des Lumières. L’universalisme
des Lumières finissantes devient discours de légitimation de l’expansion
européenne. (…)En même temps que l’on s’engage dans un processus de domination,
on adopte un discours de libération [13] ».
Un impérialisme révolutionnaire, en quelque sorte.
L’historien ajoute, en
ayant bien lu Bonaparte[14],
que les considérations géopolitiques sont, avant cette idéologie, les motifs
premiers de l’expédition : frapper l’Angleterre sur la route des Indes et
s’assurer une nouvelle colonie (l’Egypte) productrice de denrées
non-européennes.
En Egypte, l’irruption de
l’armée française, à partir du premier juillet 1798, met à bas le pouvoir de la caste des mamlouks, qui gouverne
au nom de l’Empire ottoman. Mais la puissance anglaise réagit et détruit la
flotte française le premier août à Aboukir. Le 9 septembre, l’Empire ottoman
déclare la guerre à la France. Il concentre des forces en Syrie, avec des
canonniers entraînés par des officiers royalistes français et avec le soutien
de la marine anglaise.
Dans ces conditions,
« Napoléon résolut de prendre l’offensive, de passer lui-même le désert,
de battre l’armée de Syrie, de s’emparer de tous ses magasins et des places
d’El-A’Rych, de Gaza, de Jaffa, d’Acre, d’armer les Chrétiens de Syrie, de
soulever les Druses et les Maronites. Il espérait qu’à la nouvelle de la prise
de Saint-Jean d’Acre, les Mamlouks, les Arabes d’Egypte, les partisans de la
maison de Dâher[15] se
joindraient à lui ; qu’il serait maître en juin de Damas et d’Alep. (…)
Dans cette situation, il serait en état d’imposer à la Porte, de l’obliger à la
paix, et de lui faire agréer sa marche sur l’Inde[16] ».
Le 11 février 1799,
Bonaparte quitte Le Caire, en direction de la Syrie. Il dispose de 13 150
hommes.[17].
Il prend Gaza le 24 février, Jaffa le 7 mars, fait fusiller 2500 prisonniers,
et met le siège devant Acre le 19 mars. Il obtient le soutien de la famille
arabe Zaydani et des Chrétiens de la région de Tibériade. Il va essayer
d’obtenir aussi le soutien des Druzes (Musulmans chiites du nord de la montagne
libanaise), des Maronites (Chrétiens du sud de la montagne libanaise) et celui
des Juifs.
Bonaparte écrit :
« les Juifs étaient assez nombreux en Syrie ; une espérance vague
les animait ; le bruit courait parmi eux que Napoléon, après la prise
d’Acre, se rendrait à Jérusalem, et qu’il voulait rétablir le temple de
Salomon. Cette idée les flattait. Des agents chrétiens, juifs, musulmans,
furent dépêchés à Damas, à Alep et jusque dans les Arménies ; ils
rapportèrent que la présence de l’armée française en Syrie agitait toutes les
têtes.[18] »
Henry Laurens note que
l’envoi de ces agents n’est authentifié par aucune source d’archives et qu’il
est probable qu’en multipliant les notations, Bonaparte cherche à dissimuler le
fait que l’émir Bachir, chef des Druzes et des Maronites, ne s’est pas joint
aux Français. Par ailleurs, la façon dont Bonaparte parle du temple de Salomon
montre, selon Laurens, que Bonaparte n’endosse pas ce projet.
En fait, rien n’atteste
que les communautés juives de Syrie aient accueilli Bonaparte avec sympathie.
Selon Yûsuf bin Dimitri al-Halabî, un Chrétien d’Alep, après l’invasion de
l’Egypte et de la Syrie par Bonaparte, les autorités ottomanes ont assigné à
résidence tous les ressortissants français et ont révoqué leurs protections.
Puis, début janvier 1799, ces ressortissants ont été emprisonnés et leurs biens
mis en vente. Mais al-Halabî souligne qu’aucun Chrétien local, Juif ou membre
d’une autre communauté étrangère (al-Faranj)
n’est concerné par cet ordre[19].
Les Juifs locaux
apparaissent donc fidèles à l’Empire ottoman. D’autant plus qu’un des leurs, Haïm Farhi, était le bras
droit du gouverneur de Syrie, Jazzar Pacha, avec lequel il organisait la
défense d’Acre contre Bonaparte.
Ahmad Al-Jazzar (Ahmad
« le boucher » en raison de sa brutalité) est un mamelouk d’origine
bosniaque, qui a fait ses premières armes auprès des mamelouks d’Egypte[20].
Investi en 1775 par le Sultan du seul gouvernement de la ville d’Acre, il
reçoit en 1785 l’investiture de la province de Damas et étend son autorité sur
le sud de la Palestine. Son exercice du pouvoir est particulièrement violent
contre les chiites et les bédouins. Il constitue pour cela une armée de
mercenaires de plus de 10 000 hommes en 1790.
Jazzar Pacha gouverne par
la terreur. Arrivant devant Acre, Bonaparte note : « les
Musulmans du pachalik d’Acre se plaignirent amèrement de la férocité du pacha.
On ne rencontrait à tous moments que des hommes mutilés par les ordres de ce
tyran : ce grand nombre d’hommes sans nez était un spectacle hideux[21] ».
Cette violence s’exerçait
même sur les conseillers les plus proches de Jazzar Pacha. F.B. Spilsbury,
chirurgien sur le bateau de l’Amiral anglais Sir Sidney Smith, accompagna
l’Amiral dans ses visites à Jazzar Pacha, au moment du siège d’Acre par
Bonaparte, et dessina les scènes qu’il avait vues. Il représenta, dans une
gravure souvent reproduite, le conseiller juif de Jazzar Pacha, Haïm Farhi,
l’œil crevé, son oreille et son nez coupé, tendant à la main la condamnation
d’un criminel devant Jazzar Pacha.
Nous connaissons la vie
de Haïm Farhi (Damas vers 1750-Acre 1820), fils de Saul (Shihada) Farhi,
banquier à Damas, par un écrit de 1840, établi par Loewe, assistant de Sir
Moses Montefiore[22]. Loewe rencontra la famille Farhi au
moment où elle était accusée, comme tous les notables de Damas d’ailleurs, dont
les Lévi-Stambouli et les Liniado, de crime rituel contre un religieux par le
consul de France, Ratti-Menton, dans le cadre de « l’affaire de
Damas ».
Selon Loewe, les Farhi
venaient de Tyr, en Asie mineure, et se sont établis à Damas au XVIIe siècle.
Ils exerçaient la profession de banquier et de collecteurs des impôts pour le
gouvernement ottoman.
Haïm commença sa carrière
comme banquier auprès du gouverneur de Haina, puis à 20 ans, il fut envoyé à
Istanbul pour le contrôle des comptes auprès du Ministère des Finances.
Emprisonné à Istanbul, il fut libéré par une intervention de sa sœur Reina,
âgée alors de 14 ans, auprès du Sultan. Jazzar Pacha prit alors Haïm Farhi à
son service à Acre.
La charge d’Haïm Farhi
n’était pas de tout repos. Selon la relation de Loewe, jalousé, il fut à nouveau
emprisonné sous les ordres de Jazzar Pacha qui lui fit crever un œil, et couper
une partie du nez et une oreille, avant de le rétablir dans ses fonctions.
Haïm Farhi, pour financer
l’armée de Jazzar Pacha, instaura un monopole de la vente des produits
agricoles aux Européens, probablement à son profit et à celui de Jazzar. Les
négociants français d’Acre furent dépossédés d’un commerce lucratif. Ils furent
expulsés d’Acre au début des années 1790[23].
La maison d’Haïm Farhi à Acre est une ancienne maison française, portant sur
son fronton une fleur de lys (symbole royal français), dans le « khan el
frang » (marché des Français).
Haïm Farhi et Jazzar
Pacha se révèlent de redoutables adversaires pour Bonaparte. Ils contactent la
marine anglaise, qui fait venir deux navires de guerre, le Tigre et le Thésée,
dans la rade de Haïfa. Ces navires interceptent la petite flottille française,
chargée de transporter l’artillerie de siège, trop lourde pour prendre la voie
du désert.
Jazzar Pacha fait
massacrer les Chrétiens restant à Acre et arme le reste de la population, prête
à mourir en combattant pour éviter le sort des Musulmans fusillés par Bonaparte
à Jaffa. Pour contenir les premiers assauts français, Jazzar Pacha et Haïm
Farhi font construire une deuxième ligne de retranchement, derrière la vieille
enceinte d’Acre et y font disposer l’artillerie prise aux Français.
Bonaparte apporte un
nouveau matériel de siège par un convoi naval venant d’Alexandrie et débarquant
à Jaffa le 30 avril. Mais les nouveaux assauts français restent infructueux et
les pertes en officiers considérables. Le 7 mai, une flotte ottomane de renfort
écourte le bombardement français. Mais la ligne extérieure des fortifications
d’Acre est emportée par les soldats français.
Bonaparte prépare un
nouvel assaut décisif. Il fait ses confidences à Bourrienne : « si je
réussis, je trouverai des armes pour 300 000 hommes. Je soulève et j’arme toute
la Syrie, qu’a tant indignée la férocité de Jazzar. Je marche sur Damas et
Alep. J’annonce au peuple l’abolition de la servitude et des gouvernements
tyranniques des pachas. J’arrrive à Constantinople. Je renverse l’empire turc.
Je fonde dans l’Orient un nouvel et grand empire qui fixera ma place dans la
postérité·».
Le 10 mai, l’assaut a
lieu sous la direction de Kléber. Acre est toujours imprenable. Le soir même,
Bonaparte décide de lever le siège. Le 17, il l’annonce à l’armée. Dans la nuit
du 20 au 21 mai, l’armée française lève le camp et retourne en Egypte. Les
Naplousains et les Bédouins vont la harceler. Bonaparte répliquera en
appliquant la destruction des moissons et la politique de la terre brûlée pour
maintenir une distance avec les troupes adverses. Mais Jazzar Pacha préféra
rester à Acre avec ses troupes pour contrôler le pays à son profit.
Haïm Farhi servit Jazzar
Pacha jusqu’à la mort de celui-ci en 1804[24].
Il était connu comme « El Muallim », le Maître en arabe. Il servit
aussi ses successeurs, Ismaël Pacha et Soliman Pacha, pour qui il a correspondu
secrètement en turc avec Mohammed Ali, Pacha d’Egypte. Pour la communauté
juive, il s’occupa des contributions envoyées de l’étranger en Palestine,
venant notamment de Russie et d’Autriche, pour le soutien aux pauvres et aux
étudiants du Talmud.
Il fut assassiné en 1820
à Acre, étranglé à la porte de sa maison, par les soldats du successeur de
Soliman Pacha, Abdallah, qui disait que ce Juif avait réussi à obtenir une trop
grande influence sur les Musulmans, à l’aide de moyens illégitimes. Son corps
fut jeté à la mer. Mais la maison Farhi, à Damas dans le quartier juif, a
longtemps gardé son nom : « El Muallim ». Et à Acre (aujourd’hui
Akko, en Israël), une place centrale s’appelle Farhi, en son honneur.
3. 1868 : Jacob Stambouli reçoit des peintres
orientalistes français dans sa nouvelle maison
Le conflit entre la
France et l’Angleterre, lors du siège d’Acre par Bonaparte, a fait entrer Damas
et la Syrie dans le grand jeu diplomatique entre les puissances européennes et
l’Empire ottoman.
Damas, ville assez fermée
aux étrangers en 1799, va s’ouvrir et les puissances européennes,
essentiellement la France et l’Angleterre, vont pouvoir établir leur présence
dans le cadre d’une ouverture générale de l’Empire ottoman à l’Europe.
De 1839 à 1878, l’Empire
ottoman vit la période du « Tanzimat »
(du pluriel du mot arabe tanzim qui
signifie réorganisation)[25].
Une élite politique ottomane cherche à moderniser l’Empire d’en haut, à partir
d’Istanbul, en ouvrant l’Empire au commerce avec l’Europe, en créant des
équipements modernes dans la capitale (postes, banques, hôtels, écoles,
théâtres, avenues, tramways…) et en transformant l’administration ottomane à
partir du modèle occidental.
En théorie, les membres
des autres communautés religieuses, depuis l’édit de Gülhane (1839) et les
réformes suivantes, sont mis sur un pied d’égalité juridique avec les
Musulmans.
En pratique, Zouhair
Ghazzal montre qu’il n’en est rien à Damas[26].
Les notables sunnites de Damas occupèrent tous les postes des nouveaux conseils
administratifs locaux. Il y eut une seule exception : pour l’année 1840,
après le retrait du pouvoir égyptien qui gouverna Damas de 1833 à 1840, Raphaël
Farhi représenta la communauté juive mais il ne siégea pas les années
suivantes.
En 1842, Beaudin,
interprète chancelier au consulat de France de Damas, estime à 112 500
habitants la population de Damas, dont 84,6 % de Musulmans, 11,1 % de Chrétiens
et 4,3 % de Juifs (4850)[27].
Mais le nouvel impôt
d’habitation, basé sur le nombre d’habitants et décidé par le conseil
administratif local, fut plus important pour les minorités chrétiennes et
juives (respectivement 17,5 % et 10 %[28])
que leur poids dans la population.
Cependant, avec des hauts
et des bas, certains notables juifs de Damas purent s’enrichir durant cette
période. Tel est le cas de Jacob Lévy-Stambouli qui inaugura en 1868 une
nouvelle maison damascène très richement décorée, juste à côté de la maison
Farhi.
En plus de leur rôle
traditionnel de banquiers, de collecteur d’impôts pour l’administration
ottomane, des notables juifs de Damas s’enrichirent en participant au
développement du commerce international avec l’Europe. Dans les années 1860,
des Juifs de Damas commencèrent même à investir dans les récoltes cotonnières
au nord de la Palestine, dans un but d’exportation, parce que le coton des
Etats-Unis se faisait rare en raison de la guerre de Sécession[29].
Par ailleurs, de nombreux notables juifs de Damas, étant sujets protégés des
grandes puissances, servaient d’agents locaux pour les sociétés européennes.
Cette ouverture au commerce international pouvait mettre en difficulté certains
métiers dont les produits locaux (textiles par exemple) n’étaient pas
compétitifs par rapport aux produits européens[30].
Damas s’ouvrait aux règles de la concurrence capitaliste.
Jacob Stambouli (Damas,
vers 1828-Damas, 1888), notable juif aisé en 1868, a pour père Nathan Shehada
Stambouli (vers 1792-1854). Son oncle, Aaron Lévy-Stambouli fut, avec 14 autres
notables juifs de Damas, parmi les accusés de l’affaire de Damas en 1840.
Aaron Lévy-Stambouli
était en 1840, le deuxième plus riche négociant de Damas, après Mourad Farhi.
Le père d’Aaron, David Lévy, avait décidé de rajouter à son nom celui de
Stambouli, pour se distinguer des nombreux Lévy de Damas et parce qu’il se
rendait souvent à Istanbul pour y régler des affaires juridiques, selon la
tradition familiale.
Aaron Stambouli avait été
accusé de participation au meurtre du domestique du père Thomas[31]. Ce moine capucin sarde avait disparu de
Damas avec son domestique, le Musulman Ibrahim Amara, le 3 février 1840. Les
Capucins firent courir le bruit que les Juifs les avaient tués, pour utiliser
leur sang à la fête de Pâque. Le consul de France à Damas, le comte de
Ratti-Menton, mena rapidement l’enquête avec le gouverneur égyptien, Chérif
Pacha. Par la torture, ils extorquèrent des aveux aux domestiques des notables
juifs. Les notables furent arrêtés et torturés, dont Mourad, Joseph, Mehir
et Juda Farhi, Joseph Liniado et Aaron Stambouli. Deux accusés moururent sous
la torture : le rabbin Joseph Harari, un vieillard de 80 ans, et Joseph
Liniado. Aaron Stambouli, Mourad, Joseph et Mehir Farhi furent condamnés à mort
avec six autres Juifs de Damas, dont Isaac Levi Picciotto, sujet protégé
autrichien.
Le consul d’Autriche, M.
Merlatto, demanda à instruire l’affaire concernant son protégé. Aboutissant à
des conclusions diamétralement opposées à celles du consul de France, il alerta
James de Rothschild, consul d’Autriche à Paris. L’affaire éclata au grand jour
dans la presse. Elle aboutit à une délégation de l’avocat Isaac-Adolphe
Crémieux, de Salomon Munk, de Louis Loewe et de Sir Moses Montefiore, soutenue
par la reine d’Angleterre Victoria, auprès de Mohamed Ali, vice-roi d’Egypte
qui occupait à l’époque la Syrie. Ce dernier ordonna la mise en liberté des victimes
le 28 août 1840 et rappella Chérif Pacha au Caire. Ratti-Menton, qui fut
soutenu à l’Assemblée par Thiers[32],
sera nommé loin de l’Orient. Le 6 novembre 1840, le Sultan signa un firman
déclarant que « les livres religieux juifs ont été examinés, le résultat
de tels examens est qu’il fut trouvé que, chez les juifs, sont strictement
prohibés l’usage du sang humain et même celui des animaux. D’où il ressort que
les accusations portées contre eux et contre leur religion ne sont que pures
calomnies . »
Nous savons que Jacob
Stambouli finit de construire sa maison en 1868 par un témoignage datant de
l’époque, mais paru seulement en 1993[33].
Au cours d’un voyage en Egypte et au Moyen-Orient d’un groupe de peintres
orientalistes français à l’initiative du peintre Jean-Léon Gérôme, auquel
participe aussi le peintre Léon Bonnat, le peintre néerlandais Willem de Famars
Testas (1834-1896) a tenu un journal de voyage en français. Le 4 mai 1868, le
groupe, après avoir rencontré « les Juifs influents de la ville » est
invité chez M. Stambouli, « israélite opulent », comme le note le
peintre néerlandais qui ajoute : « sa maison est toute neuve :
il l’a fait bâtir dans le style ancien et elle n’est même pas entièrement
terminée ».
La maison sera largement
photographiée par Félix Bonfils (1831-1885), le premier photographe français à
installer un studio à Beyrouth et qui diffusa de nombreuses cartes postales de
la maison que l’on trouve encore chez les collectionneurs. Bonfils débarqua, en
1860, avec les troupes françaises de Napoléon III, qui restèrent au Liban au
nom de la défense des minorités chrétiennes.
En effet, les troubles
opposant dans la montagne des Druzes (Musulmans chiites) aux Maronites
(Chrétiens se rattachant depuis les croisades au catholicisme) se répercutent à
Damas, sur fond de conflits entre Chrétiens et Musulmans sur des questions
d’impôts[34].
Les Musulmans estiment que les Chrétiens sont favorisés par les réformes du Tanzimat. Des militaires musulmans et la
pègre de la ville de Damas pillent et brûlent les maisons du quartier chrétien,
massacrant plusieurs milliers de personnes[35]
les 9 et 10 juillet 1860. Le Sultan Abdül-Medjid envoie Fouad Pacha à Damas qui
fait exécuter une centaine de militaires et une cinquantaine de civils, tenus
pour responsables des massacres [36].
Certains Chrétiens accusèrent les Juifs d’avoir pris part aux violences ;
mais, après quelques emprisonnements provisoires, ils furent libérés.
Invité le 4 mai 1868 chez
Jacob Stambouli, de Famars Testas, en bon peintre, note dans son carnet
l’organisation des festivités : « vers six heures et demie, les
invités arrivaient peu à peu ; une douzaine de dames juives, parées de
tous leurs diamants prenaient place sur l’ample divan (en fait l’iwan, un espace voûté en plein air,
situé au frais) ; on leur servit de suite des narghilés et des sucreries.
(…). Parmi les invitées, se trouvait une grande dame anglaise qui s’est mariée
à un Cheik de Palmyre, Lady Digby. (..) À sept heures et demie, on passait dans
la salle à manger : nous y trouvions une table richement arrangée à
l’européenne, et des quantités de plats. Comme boisson, il y avait du vin de
Damas et de l’arakieh. Après le dîner, nous sommes redescendus dans la grande
salle, où on causait, en fumant et mangeant d’excellentes confitures. Bientôt
arrivaient encore d’autres invités dont plusieurs étrangers, entre autres la
marquise d’Ely et son fils. Le fils de M. Stambouli[37]
parlait un peu français, le père ne parle ni ne comprend le français à son
grand regret ».
Cette réception montre
bien les nombreux contacts internationaux d’un notable juif de Damas comme
Jacob Stambouli et son ouverture vis-à-vis de la France. Ces contacts datent en
particulier de l’affaire de Damas de 1840. En effet, de Famars Testas note que
le peintre Gérôme présente le 3 mai aux notables juifs « une lettre
circulaire de M. l’avocat Crémieux de Paris ». Il ajoute :
« Ce M. Crémieux a, par son talent d’avocat, sauvé la population
juive de Damas d’une ruine complète. En l’absence de M. Gérôme, c’est Goupil
son gendre, qui a remis la lettre. On l’a reçu comme un envoyé de prince et
peut-être plus affablement encore ». D’où l’invitation à dîner pour le
lendemain de Jacob Stambouli.
Avant de se rendre à la
réception des Stambouli, de Famars Testas « fait une course en ville avec
un M. allemand, israélite, nommé Weiskopf. C’est un monsieur, envoyé par la
société israélite de France, pour diriger les écoles juives de Damas. Il nous a
conduits à son école. Nous étions étonnés de l’ordre et de la propreté qui
régnaient là-dedans ; plusieurs même, parmi les plus petits, étaient déjà
avancés dans la langue française et écrivaient pas mal les caractères
européens ».
En fait, il s’agit de M.
Weiskoff, israélite français, d’origine ashkénaze, qui dirige effectivement
l’école de garçons de l’Alliance Israélite Universelle qu’il a ouvert à Damas
en 1864.[38]
L’Alliance Israélite
Universelle a été fondée à Paris en 1860 pour « prêter un appui efficace à
ceux qui souffrent pour leur qualité d’Israélites » et pour
« travailler partout à l’émancipation et aux progrès moraux des Israélites
[39]».
De 1863 à 1880, Isaac-Adolphe Crémieux en sera le Président. Il dirige un
« Comité Central » de trente membres dont les deux tiers résident à
Paris[40].
Tous les directeurs des écoles doivent rendre régulièrement des comptes au
Comité Central.
La création de l’école de
Damas ne s’est pas faite sans problème. Dans une lettre de M. Weiskoff du 20
février 1868 au Comité Central,
concernant la création de l’école, ce dernier écrit : « le
respect dont j’entoure les décisions du Comité Central me défend de protester
contre l’assertion que c’était sur mon initiative que l’école de Damas a été
créée et que l’Alliance l’accepte comme un fait accompli.[41] »
M. Weiskoff ne semble pas
avoir toute la confiance du Comité Central puisqu’il lui écrit dans une lettre
du 2 décembre 1868 : « le Comité Central me reproche d’avoir
compromis l’existence de l’école de Bagdad. C’est pour moi un sujet
d’affliction que d’être en butte à une position quasi-précaire depuis que j’ai l’honneur
se servir sous vos ordres ».
Le Comité Central fermera
l’école de garçons de Damas en 1869. Il la rouvrira en 1880, sous la direction
de M. Fresco et ouvrira une école de filles en 1883.
Dans les listes des
élèves des écoles de l’Alliance, on trouve de nombreux enfants Farhi, Stambouli
et Liniado. Les enfants des notables juifs vont aller dans les écoles de
l’Alliance, qui donnaient une formation de type français jusqu’au certificat
d’études[42],
avec un bon apprentissage du français, en plus de l’arabe et d’un peu d’hébreu.
Ils continueront ensuite leurs études supérieures, notamment dans des écoles
chrétiennes du Moyen Orient.
L’influence des écoles de
l’Alliance à Damas va se manifester par la diffusion de la culture et de la
langue française. Elle va heurter l’influence traditionnelle des rabbins des
Talmud Torah, même si des rabbins locaux vont enseigner l’hébreu dans les
classes de l’Alliance, en particulier le rabbin Chehade Maslaton (né vers 1856)[43]
qui enseigna dès la création de l’école de garçons. A la fin du XIXe siècle,
c’est l’Alliance qui intégrera dans son réseau éducatif les Talmud Torah, au
détriment du pouvoir des rabbins traditionnels locaux [44].
L’Alliance va aussi
influer sur le vêtement et les moeurs des Juifs de Damas. Les élèves des écoles
de l’Alliance devaient être habillés à l’européenne, en abandonnant le vêtement
traditionnel[45]. Parmi les
jeunes femmes de notables, la mode et l’élégance de Paris vont se répandre
comme en attestent les photos de famille.
L’Alliance va compléter
l’instruction des adultes et donner une formation professionnelle ou générale
aux enfants des notables (élèves payants) mais aussi aux enfants des petits
artisans, ouvriers et commerçants (élèves « gratuits », recevant
parfois un aide alimentaire) [46].
Elle va former quelques
enseignants locaux. En 1906, pour la première fois à Damas, l’école de garçons
de l’Alliance a un directeur originaire de Damas : Nissim Farhi. Mais
l’Alliance subira le phénomène d’émigration économique des Juifs de Damas, dès
la fin du XIXe siècle et ses rapports avec le conseil de la communauté seront
souvent difficiles, notamment pour faire payer les frais de l’école [47].
A partir des années
1870, la situation économique de
certains notables riches va se dégrader jusqu’au début du nouveau siècle[48].
En 1869, le canal de Suez
est ouvert : les routes commerciales et les pèlerinages à La Mecque vont
beaucoup plus passer par mer et par l’Egypte que par terre et par Damas. En
1875, l’Empire ottoman ne peut plus rembourser sa dette publique[49].
Des notables juifs de Damas, dont les Stambouli, qui avaient souscrit aux
emprunts d’Etat sont en difficulté. Les Anglais et les Français vont mettre en
place, à partir de 1878, une administration de la dette : le montant de la
dette est abaissé de moitié et le taux d’intérêt maintenu entre 1 et 4%.
À la mort de Salomon
Stambouli, en 1895, Bolissa Farhi, sa veuve loue la maison Stambouli pour
l’école des garçons de l’Alliance Israélite. Le directeur de l’école, Ouziel
écrit en 1896, au Comité Central : « depuis que nous avons loué la
maison Stambouli, notre local scolaire ne laisse rien à désirer [50] ».
L’école compte 179 élèves et 6 classes.
En plus des problèmes
économiques mentionnés, Bolissa Farhi, veuve Stambouli, se trouve dans une
situation personnelle difficile : elle a certes trois garçons (Jacques,
Nathan et Isaac) ; mais aussi
sept filles à marier : Leila, Jemila, Laura, Nezha, Faridé,
Victoria et Adèle. C’est de ce moment que date son dicton : « les
filles Stambouli sont tellement belles qu’il n’y a pas besoin de dot pour les
marier ».
En 1901, la maison
Stambouli va servir à l’école de filles qui compte 316 élèves. Mathilde
Alchalel, sa directrice, dans son rapport annuel au Comité Central, considère
que c’est « une des plus belles maisons du quartier juif, que tous les
touristes de passage viennent visiter. » Mais « nos classes ne sont
pas logées à l’aise dans ce palais. Il n’y a pas assez de pièces pour sept
classes et nous sommes obligés de séparer le salon en deux par un grand rideau
en toile pour faire deux classes. Si la maison nous appartenait, il nous serait
facile de l’aménager pour en faire une belle école car la place ne manque
pas. Des pourparlers ont été engagés pour l’acquisition de cet immeuble.
Ils n’ont pas abouti en raison du bas prix que vous en avez offert. Nous
avons dû renouveler le bail pour une nouvelle période de trois ans. [51]»
En 1903, une lettre au
secrétaire de l’AIU à Paris, M. Benedict, de la part des fils de Jacob
Stambouli, signée David Levy Stambouly[52]
et Elie Levy Stambouli ainsi que de Mme Stambouli (probablement la veuve de
Salomon Stambouli, Bolissa Farhi), explique les termes de la vente de la maison
Stambouli à l’Alliance. Les Stambouli veulent « vendre leur propriété
paternelle par suite de la misère où nous sommes tombés surtout que nous
comptons (nous) installer en Egypte. La valeur normale de la maison est de plus
de 15 000 livres. » Ils notent que M. Alchalel, le directeur de l’école
des garçons, a proposé éventuellement 2000 livres : « il est
regrettable de vendre à si bas prix »[53].
La vente ne se fera pas.
Et la maison Stambouli restera dans la famille. Elle sera achetée par Joseph
Liniado, un riche notable de Damas. Et Bolissa Farhi va marier son fils Jacques
Stambouli – mon grand-père – avec Adèle Liniado, la fille unique de
Joseph Liniado. Jacques Stambouli, élevé chez les Jésuites à Beyrouth, sera
avocat aux Tribunaux mixtes du Caire. Mais deux enfants d’Adèle Liniado,
Salomon dit Raymond et Robert naquirent dans la maison Stambouli où Adèle vint
accoucher et où la famille du Caire venait l’été rejoindre les grands parents
de Damas.
4. 1928 : Joseph Liniado devient député pour la
communauté juive au Parlement de
Syrie
Après la première guerre
mondiale, le paysage politique est bouleversé en Syrie et la communauté juive
de Damas va être divisée selon plusieurs orientations très contradictoires.
L’Empire ottoman, allié
des Allemands, est défait militairement en 1918. Le général anglais Allenby
prend Damas le 30 septembre. Des notables arabes tentent de prendre le pouvoir.
Faysal d’Arabie les renverse et se place sous l’autorité d’Allenby. Le
gouvernement ottoman signe l’armistice le 30 octobre 1918 avec les Anglais. Le
traité de Sèvres en août 1920 signera la paix entre les Alliés et l’Empire
ottoman, qui est dissous et désormais appelé Turquie. Mustapha Kemal rejettera
ce traité et, par une campagne militaire, obtiendra un nouveau traité plus
favorable : le traité de Lausanne de 1923, qui désigne les frontières
actuelles de la Turquie[54].
L’ancienne province
ottomane de Syrie a fait l’objet des accords secrets Sykes-Picot, établis en
mai 1916 entre l’Angleterre et la France, qui prévoient un mandat pour chaque
pays, la France au Nord (Liban, Damas) et les Anglais au Sud (Palestine, Transjordanie).
À Damas, à partir de novembre 1918, de façon provisoire, sous la direction de
Faysal d’Arabie, un gouvernement arabe s’est installé, avec présence des
troupes anglaises. Ce gouvernement veut constituer un Etat unitaire moderne,
multiconfessionnel, démocratique et indépendant[55].
La constitution de ce
gouvernement ne correspond pas au projet de la France de mandat sur le nord de
l’ancienne Syrie ottomane. En juillet 1919, une commission d’enquête
américaine, la commission King-Crane va en Syrie pour éclairer les grandes
puissances. Ses conclusions confirment l’opposition des populations au mandat
français.
Le 8 mars 1920, le
Congrès syrien proclame à Damas l’indépendance de la Syrie dans ses frontières
anciennes, Palestine incluse, avec Faysal comme roi constitutionnel. Mais le 22
mars, le Conseil administratif du Liban proclame l’indépendance du Liban. Le 25
avril 1920, le Conseil suprême interallié attribue à la France le mandat de la
Syrie (Liban inclus) et à la Grande-Bretagne le mandat sur la Palestine et la
Mésopotamie. Le 7 mai, le gouvernement arabe syrien décide la conscription
générale. Le 24 juillet 1920, à Khan Maysalun, sur la route reliant Beyrouth à
Bagdad, le général Gouraud écrase l’armée arabe syrienne sous le feu de son
artillerie lourde, de ses blindés et de son aviation. Faysal prend
l’exil ; les Anglais le mettront sur le trône d’Irak. Et la France
commence son mandat, qui doit préparer le pays à l’indépendance, avec
l’opposition d’une bonne partie de la population de Syrie.
Le gouvernement français
va répondre à cette situation par un morcellement de la partie de l’ancienne
province ottomane dont elle est mandataire. En janvier 1920, le Haut
commissariat français créait un Etat de Syrie, regroupant les états d’Alep, de
Damas et Lattaquié, avec Damas comme capitale ; les autres territoires
constituent le Grand Liban. Et le centre politique du pouvoir mandataire est à
Beyrouth.
Cependant, le pouvoir
français n’arrive pas à stabiliser durablement l’Etat de Syrie. En 1925, une
révolte éclate dans la montagne druze, investissant Damas, attaquant le sud de
la ville, dont le quartier juif, les 18 et 19 octobre. Les troupes françaises
bombardent Damas et doivent lutter contre la guérilla dans l’oasis de la Ghoûta
et dans la montagne jusqu’à l’été 1926.
Les élections à
l’Assemblée constituante, en 1928, ont pour but de trouver une solution
politique. La communauté juive obtient d’être représentée par un député.
Les archives de
l’Alliance Israélite permettent de connaître les conditions de cette élection
et ses enjeux. Le directeur de l’école de garçons de l’Alliance, M.
Silberstein, rend compte au Comité Central de cette élection par une lettre du
9 mai 1928[56] :
« la communauté
israélite de Damas a été appelée à prendre part aux élections du 2e
degré qui se sont déroulées les 10 et 24 avril dernier. La population israélite
de Syrie compte de 25 à 30 000 âmes, concentrées surtout à Damas et à Alep. Par
suite de l’émigration de nos coreligionnaires de Damas, notre communauté est
devenue inférieure à celle d’Alep : Alep, 12 000 individus, Damas, 10 000
individus dont 2000 étrangers.
C’est Damas qui fut
désignée pour choisir un représentant pour la Chambre des députés, malgré les
nombreuses protestations des Israélites d’Alep.
Les élections du 1er
degré commencent le 10 avril et durent 3 jours. Les urnes se tenaient dans la
grande synagogue. 300 électeurs votèrent, mais officiellement, le nombre de
votants enregistrés fut de 2853. C’est grâce à ce nombre imposant de votants
que la Communauté a réussi à garder son siège. 30 notables furent choisis pour
participer avec les autres élus de la ville aux élections du 2e
degré le 24 avril.
Deux candidats israélites
se trouvèrent en présence : M. Joseph Liniado[57],
partisan du gouvernement et M. Daoud Totah du parti nationaliste. Après
plusieurs réunions des 30 notables, on s’est mis d’accord pour ne présenter
qu’un candidat, M. Joseph Liniado. Le candidat nationaliste se désista en
faveur de M. Liniado.
Le 24 avril, se
déroulèrent les élections du 2e degré. M. Joseph Liniado fut élu à
une majorité écrasante : 680 voix sur 731 votants.
M. Liniado est un ancien
élève de notre école. Il appartient à une grande famille qui depuis plusieurs
générations a rendu de grands services au gouvernement du pays. Tous les
membres de cette famille ont siégé dans les différents conseils de Damas.
L’ élection d’un
député israélite a amené une véritable explosion de joie dans notre quartier.
Pendant trois jours, les fêtes se succédèrent sans interruption. Les murs ont
été pavoisés aux couleurs françaises et syriennes. Les délégations arabes et
chrétiennes vinrent adresser leurs félicitations au nouvel élu ».
Une version humoristique
du même événement est rapportée par Moussa Abadi, dans sa nouvelle « un
député nous est né »[58].
Il explique à sa façon la transformation du nombre d’électeurs :
« Larnado fut élu à l’unanimité,
avec les voix des présents et des absents, des vivants et des morts, des
disparus, des émigrés et des partis-sans-laisser d’adresse.
À chaque passage d’un
électeur devant l’urne – en l’occurrence un panier d’osier – on lui
proposait, au choix, une bouteille d’huile, un sac de riz ou un tarbouche
« un petit peu mité… Et on le priait de repasser.
Et tout le monde
repassait devant le panier d’osier ».
Malgré la présence d’un
députe juif pro-gouvernemental – mon arrière grand-père qui avait 78 ans
à l’époque – l’Assemblée de Syrie n’apporta pas de solution
politique. Elle vota une
Constitution refusée par le Haut commissaire, parce qu’elle revendiquait des
territoires passés au Grand Liban et demandait l’unité nationale intégrale et
immédiate, impliquant la fin du mandat. La Chambre fut dissoute en mai 1930[59] .
En 1934, la nouvelle Chambre élue en 1932, fut suspendue. En 1936, un traité
franco-syrien prévoit l’indépendance, dans un délai de 3 ans. Approuvé par le
Parlement syrien, il n’est pas voté par le Parlement français. En 1941, pour
empêcher le pouvoir de Vichy de se maintenir, les troupes françaises libres et
les troupes britanniques pénètrent en Syrie. En 1943, les élections consacrent
le succès des nationalistes syriens. Mais la France ne transfère pas ses
pouvoirs. En mai 1945, de graves troubles éclatent à Damas et les autorités
françaises bombardent la ville. Les Anglais demandent alors aux troupes
françaises de quitter le pays ce qu’elles feront quelques mois plus tard.
Dans cette tourmente,
d’après les rapports des directeurs de l’Alliance, la communauté juive de Damas
était éclatée entre pro-français dont les partisans de l’Alliance israélite
qui maintint ses écoles, mais dont le directeur fut assassiné en 1942[60] ;
nationalistes syriens, notamment chez certains jeunes ; et sionistes.
Le mouvement sioniste
avait créé des écoles hébraïques à Damas en 1919, gratuites et concurrentes de
celles de l’Alliance ; mais elles furent fermées en 1925. En 1929, selon
M. Silberstein, directeur de l’école de garcons de l’Alliance, la Maccabi,
association sportive juive, existait à Damas, se réunissait dans l’école de
l’Alliance, avec comme Président honoraire Joseph Farhi, président de la loge
Bené Bérith et ancien président de la communauté de Damas.
Dans une situation
politique aussi troublée, de nombreux juifs de Damas choisirent d’émigrer, à
Beyrouth, en Egypte, en terre d’Israël, en Amérique ou en Europe.
Joseph Liniado, député
juif de Damas, mourut en 1943, à 93 ans. À sa mort, sa veuve Bayie Tubie et son
neveu, Sabri Liniado vendirent la maison Stambouli à une institution
américaine.
La création de l’Etat
d’Israël, le 15 mai 1948, et la guerre permanente israélo-arabe, qui s’est
instaurée depuis, allaient précipiter le déclin de la communauté juive de
Damas, qui n’existe plus depuis 1994. Les familles des notables juifs de Damas
comme les Farhi, les Liniado, les Stambouli avaient émigré dès le début du XX e
siècle, au Liban, en Egypte, en Israël, en France, en Suisse, en Grande
Bretagne, en Espagne, au Brésil, aux Etats-Unis notamment.
L’identité sépharade
complexe de cette communauté, hébraïque par la religion et l’origine, arabe
moyen-orientale par son insertion locale très ancienne, française par son
imprégnation culturelle, s’est transportée ailleurs qu’en Syrie et forme de
nouveaux mélanges.
Dans les guides anglais
actuels de Damas, le quartier juif est toujours mentionné. La maison Stambouli-Liniado
(« Beit Nyaddu ») est toujours là, appartenant à un riche chiite. Et
la maison Farhi a été rénovée. Elle est devenue l’hôtel Talisman, un des hôtels
les plus chics de Damas.
Le 7 mars 2009
[1] www.farhi.org
[2] Nous remercions
Mlle Levine, bibliothécaire aux Archives de l’Alliance Israélite Universelle de
toute l’attention qu’elle a bien voulu porter à notre recherche.
[3] Estimation
pour 1848 du voyageur Benjamin II,
cité dans Encylopaedia Judaica, Second Edition, Volume 5, Damascus, p. 395.
[4] Selon Henry Laurens, l’Empire ottoman avait, dans ce que Bonaparte va appeler la Syrie, trois circoncriptions administratives en 1799 avec un chef-lieu de circonscription : le nord de la Palestine dépendait de la circonscription d’Acre, les régions centrales de Palestine et Jérusalem dépendaient de la circonscription de Damas, la région littorale de Palestine constituait une unité administrative à part, avec des villes comme Gaza et Jaffa . (Note 3, page 369, in BONAPARTE, Napoléon, Campagnes d’Egypte et de Syrie, Imprimerie Nationale, Paris, 1998). Cependant, le gouverneur de la circonscription d’Acre, Jazzar Pacha, reçoit en 1785, l’investiture de la circoncription de Damas, et étend son autorité sur le sud de la Palestine. Il regroupe « tous les commandements syro-palestiniens en décembre 1798 pour faire face à la menace française » in LAURENS, Henry, L’expédition d’Egypte, 1798-1801, Le Seuil, Paris, p.261.
[5] Encyclopaedia
Judaica, op. cit., pp. 390-397, article Damascus.
[6] GHAZZAL, Zouhair,
op. cit. p.13.
[7] TERNON, Yves,
Empire ottoman, le déclin, la chute, l’effacement, Le Félin, Paris, 2005, p.37.
[8] GHAZZAL , Zouhair, op.cit., p. 16.
[9] Idem, p. 18.
[10] LEWIS, Bernard,
Juifs en terre d’Islam, Calmann-Lévy, Paris, 1986, p.37.
[11] BEN NAEH, Yaron,
Dans l’empire ottoman, XVIe-XVIIIe siècle in TRIGANO, Schmuel, Le monde
sépharade, I. Histoire, Seuil, Paris, 2006, pp. 369-413.
[12] GHAZZAL, Zouhair, op. cit. p. 26.
[13] LAURENS, Henry, Les
Lumières et l’expédition d’Egypte, pp. 18-21 in COLLECTIF, Bonaparte et l’Egypte,
Feu et Lumière, Hazan-Institut du Monde Arabe, Paris, 2008.
[14] BONAPARTE,
Napoléon, Campagnes d’Egypte et de Syrie. Présentation et notes de Henry
Laurens, Imprimerie Nationale, Paris, 1998. Ce texte a été dicté au général
Bertrand, témoin oculaire des faits, dans l’île de Sainte-Hélène, lors des
premières années de sa captivité.
[15] Il s’agit de Dahir
Umar Al-Zaydani, chef d’une famille arabe d’origine bédouine qui s’est opposée
à la domination ottomane en Palestine.
[16] BONAPARTE,
Napoléon, Campagnes d’Egypte et de Syrie, op. cit. p. 212.
[17] Idem, p. 212.
[18] Idem, p. 232.
[19] RAFEQ, Abdu-Karim,
La campagne de Bonaparte en Syrie, in COLLECTIF, Bonaparte et l’Egypte, feu et
lumière, Institut du Monde arabe, Hazan, Pari, 2008, pp.115-119.
[20] LAURENS, Henry, L’expédition
d’Egypte, Le Seuil, Paris, 1997, pp. 260-263.
[21] BONAPARTE,
Napoléon, op. cit. p. 232.
[22] Le texte de F.
Loewe sur les Farhi de Damas se trouve sur le site farhi.org., traduit par Remi
Hakim.
[23] LAURENS, Henry, op. cit. p.262.
[24] ENCYLOPAEDIA JUDAICA,
Second Edition, volume 6, FARHI pp. 714-716.
[25] TERNON Yves,
op.cit. pages 149-161.
[26] GHAZZAL, Zouhair,
p. 53.
[27] GHAZZAL, Zouhair,
op. cit. p.38.
[28] Idem, p. 40. Les chiffres sont de 1843.
[29] Idem, p. 79.
[30] GHAZZAL, Zouhair,
op.cit. p.126.
[31] ENCYCLOPAEDIA
JUDAICA, Second edition, volume 5, DAMASCUS AFFAIR, pp. 399-401. Voir aussi en
français, HEBEY, Pierre, Les disparus de Damas, Gallimard, 2003 et STAMBOULI,
Raymond, Les Juifs de Syrie et l’affaire de Damas, pp. 431-436, in MECHOULAN Henry (dir.), Les Juifs
d’Espagne, 1492-1992, Editions Liana Levi, Paris, 1992.
[32] HEBEY, Pierre, op.
cit. p.233.
[33] DE FAMARS TESTAS,
Willem, Journal de voyage en Orient, 1868, in Album de voyage, des artistes au
pays du Levant, Réunion des Musées Nationaux, Paris, 1993, pp. 181-183.
[34] GHAZZAL, Zouhair,
op.cit. p.164-166.
[35] 5000 selon RONDOT,
Philippe, La Syrie, Que sais-je ? PUF , Paris, 1998, p.32.
[36] TERNON, Yves, op.
cit. p.181.
[37] Il s’agit de
Salomon Stambouli (1850-1895), qui a 18 ans en 1868, comme le note de Famars
Testas.
[38] ENCYCLOPAEDIA
JUDAICA, Damascus, p. 395.
[39] GIRARD, Patrick,
Pour le meilleur et pour le pire. Vingt siècles d’histoire juive en
France . Bibliophane, Paris, 1986, P. 309.
[40] ENCYCLOPAEDIA
JUDAICA, Second edition, volume 1, ALLIANCE ISRAELITE UNIVERSELLE p. 671-675.
[41] Alliance Israélite
Universelle, Archives, Microfilms, Syrie, Bobine 3.
[42] RODRIGUE, Aron, De
l’instruction à l’émancipation, Les enseignants de l’Alliance israélite
universelle et les Juifs d’Orient, 1860-1939, Calmann-Lévy, Paris, 1989.
[43] « Chehade
Maslaton, notre premier rabbin a à peine 45 ans. Il est à l’école depuis sa
fondation, c’est-à-dire depuis 21 ans. Il est pieux sans être fanatique, doux,
calme, il a sur les élèves une grande autorité. » (Samuel Alchalel,
rapport 1901, Archives manuscrites AIU Syrie Damas, F 24 Garçons).
[44] « Le Grand
Rabbin nourrit encore l’espoir de mettre un jour la main sur le Talmud Torah et
c’est ce qui fait que nous ne serons jamais bien ensemble. » (M.Ouziel, rapport 1897 Archives
manuscrites AIU, Syrie Damas, F 24 Garçons)
[45] « Nous tenons
à ce que nos élèves portent l’habit européen : veston et pantalon. »
(Samuel Alchalel, rapport AIU 1905, Archives manucrites, AIU, Syrie, Damas, F
24 Garçons). « Les jeunes filles sorties des bancs de notre école ne ressemblent
plus à celles d’autrefois. Il est excessivement rare d’en voir vêtues de
ces horribles robes de chambre que leurs mères affectionnent encore. Elles
commencent à ressembler un peu à la jeune fille européenne. Il y en a même qui
aspirent à vivre seules avec leur mari, rompant ainsi avec une des traditions
les plus indéracinables : celle de garder les fils auprès de soi longtemps
après leur mariage. La jeune femme dans les premières années de son mariage est
entièrement soumise à la belle-mère qui détruit ainsi toute l’action de
l’école » (Mathilde Alchalel, épouse de Samuel Alchalel, rapport AIU 1904,
Archives AIU, Syrie Damas, F 24 Filles).
[46] « Le fait le
plus saillant de l’année a été l’institution de cours d’adultes. L’affluence a
été si considérable qu’il a fallu organiser successivement trois classes. Le
nombre des élèves, y compris les apprentis, a été de 194. Tous sont ouvriers,
le moins âgé avait 18 ans et le plus âgé 45 ; la plupart sont mariés et
ont leurs enfants à l’école ou dans notre Talmud Tora » (M.Ouziel,
directeur de l’école de garçons, rapport AIU 1897, Archives manuscrites, Syrie,
Damas, F 24, Garçons )
[47]« Nos
coreligionnaires se sont mis en tête que l’Alliance n’a que faire des quelques
centaines de francs que nous leur extorquons ici et qu’elle nous a envoyés pour
secourir les misères » (M. Cohen, directeur de l’école des garçons,
rapport AIU 1890, Archives, Syrie, Damas, F 24 Garçons ). « Les nouvelles
générations, formées dans nos écoles, ne demeurent pas à Damas : elles ont
presque toutes émigré » (Samuel Alchalel, rapport AIU 1905-1906, idem).
[48] « Les grandes
familles, les Stambouli, les Lisbona, les Farhi, les Harari etc. perdent chaque
jour de leur influence parce qu’elles ont perdu leurs fortunes » (Samuel
Alchalel, directeur de l’école de garçons, Rapport AIU 1901, Archives
manuscrites, Syrie, Damas, F 24, Garçons).
[49] TERNON, Yves, op.
cit. p. 209.
[50] Archives
manuscrites AIU, Syrie XIII, F.24. Dossier Garçons (1896-1931).
[51] Archives manuscrites AIU, Syrie XIII,
F. 24, Dossiers Filles (1896-1922).
[52] David Stambouli
était poète. La tradition familiale dit aussi qu’il fut juge à Damas et que ses
jugements en vers dépendaient de la rime qu’il trouvait.
[53] Archives AIU microfilmées, Syrie, Bobine 40,
STAMBOULI.
[54] CHAGNOLLAUD
Jean-Paul, Quelques idées simples sur l’Orient compliqué, Ellipses, Paris,
2008. En 1939, l’Etat français cédera unilatéralement à la Turquie, au
détriment de la Syrie sous mandat, la circonscription d’Alexandrette et
d’Antioche, ports servant de débouchés à Alep, pour s’assurer la neutralité de
la Turquie dans la guerre à venir avec l’Allemagne.
[55] MEOUCHY Nadine, Un
roi arabe : Faysal, un espoir déçu, in Damas, Autrement Hors Série n° 65,
Paris, janvier 1993, pp.70-79.
[56] AIU, Archives
manuscrites, Syrie XIII F. 24 Dossier Garçons 1896-1931.
[57] Le nom
« Liniado » est parfois orthographie « Laniado » voire
« Legnado ». Dans le cas de Joseph Liniado, il s’agit de la même
personne. Nous avons harmonisé en Liniado, qui était le nom sur le passeport de
sa fille Adèle Liniado. Les noms de familles étaient écrits en hébreu ou en
arabe. Les transcriptions en caractères latins donnent des approximations et
des variations pour le même nom. Etymologiquement, le nom peur venir selon
TAIEB, Jacques, op. cit. de l’espagnol « laniador » , raccomodeur de
faïences et porcelaines. Selon la tradition familiale, le nom viendrait de
« linea », le lin.
[58] ABADI, Moussa, La
reine et le calligraphe, Mes juifs de Damas, Christian de Bartillat éditeur,
Paris, 1993. Voir aussi, ABADI,Moussa, Shimon le parjure, Mes Juifs de
Damas, Editions du Laquet, 1999.
[59] RONDOT, Philippe,
op. cit. p.p.37-38.
[60] ENCYCLOPAEDIA
JUDAICA, op. cit. DAMASCUS.